Renders Émile-Léon

Dates: 18 janvier 1872 - 7 avril 1956

Lieux: Dixmude - Bruges

Sommaire

Mots clés

    Références externes

    Publié le : 19 décembre 2024Catégories : Biographie

    Éléments biographiques

    1926-1927Première présentation de tableaux de sa collection à une exposition internationale (Berne)
    1931 Publication de "La solution du problème Vander Weyden – Flémalle – Campin" Max J. Friedländer se rallie à sa thèse qui voit dans les panneaux attribués au Maître de Flémalle l'œuvre de jeunesse de Rogier van der Weyden
    1933 Publication de "Hubert van Eyck, personnage de légende"
    1935 Publication de "Jean van Eyck, son œuvre, son style, son évolution et la légende d’un frère peintre"
    1941 Vente de sa collection à Hermann Goering
    1949 Débouté dans sa tentative de récupérer sa collection
    1950 Publication de "Jean van Eyck et le Polyptique. Deux problèmes résolus"

    Présentation analytique

    Le cursus d’Émile Renders a un caractère particulier, dans la mesure où il ne s’est intéressé à l’histoire de l’art que très tard – il avait plus de cinquante ans – et en dehors de tout circuit officiel.
    Né Houvenaeghel à Dixmude, il est adopté par l’antiquaire brugeois August-Adolf Renders, dont il reprend le patronyme en 1907. On lui connaît une activité de dessinateur – il participe à ce titre à l’ouvrage Aan ‘t Minnewater. Drie schetsen uit het Brugsche leven que Maurits Sabbe publie en 1898 – et se spécialise avant la Première Guerre mondiale dans l’illustration scriptophile.
    Assurant non seulement la paternité de ces dernières œuvres, sa signature figure également en tant qu’administrateur de certaines des sociétés qui émettent ces titres : telle la société anonyme Tramway & Chemin de Fer Électriques Rome-Civita-Castellana-Viterbe, par exemple, ou encore celle des Mines de Wolfram de Balborras (Espagne).
    Outre cette activité industrielle, il tente avant la Première Guerre mondiale sa chance en politique en tant que membre du parti libéral brugeois, mais rencontre des succès très mitigés qui lui feront rapidement abandonner cette voie.
    Quelques années après la fin de la Première Guerre mondiale, il constitue une collection de Primitifs flamands qui connaîtra la consécration lors de l’exposition de Londres en 1927[1]. À cette occasion, il en fait publier un catalogue luxueux, reproduisant certaines œuvres en couleur, une exception à cette époque. Georges Hulin de Loo en signe l’introduction ; les notices sont rédigées par Édouard Michel, conservateur au Musée du Louvre.
    C’est fort de cette réputation de collectionneur inspiré, au flair remarquable – les œuvres, inconnues jusqu’alors, qu’il expose à Londres sont données à Rogier van der Weyden, au Maître de Flémalle, à Hans Memling ou encore à Quentin Metsys – que les colonnes des revues scientifiques les plus prestigieuses lui sont ouvertes. Émile Renders va ainsi publier dans les quelques années qui suivent pas moins de quatre articles dans la Gazette des Beaux-Arts et deux dans le Burlington Magazine (Renders 1928a; 1929a; 1930; 1931; 1933).
    Sa première publication est en fait un droit de réponse paru dans la revue Gand Artistique quelques mois après l’exposition de Londres en 1927 (Renders 1927) : Maurice Delacre s’étonne qu’un tableau de qualité médiocre, une copie de la Madeleine de Rogier van der Weyden figurant sur le volet droit du triptyque Braque, au Musée du Louvre, et qui était passé quelques années auparavant dans une vente publique gantoise, se retrouve sur les cimaises londoniennes avec une attribution à Hans Memling et, d’un point de vue visuel, dans un état qualitatif totalement différent[2]. La répartie du propriétaire, Émile Renders, est particulièrement cinglante : « […] c’est par l’ignorance et le peu de flair des susdits augures que ce vil plomb s’est changé en or pur, en ma faveur […] » (Vanwijnsberghe 2008, p. 26).
    Le ton est donné et il publie quelques mois plus tard dans le The Burlington Magazine un article de nature plutôt technique, mais qui défend le caractère original des craquelures de sa Madeleine : Cracks in Flemish Primitives (Renders 1928a). Son intention est d’éclairer les spécialistes sur les critères matériels qui permettent de distinguer un véritable Primitif flamand d’une falsification, sa démonstration étant basée sur des photos en lumière rasante mettant en évidence le réseau de craquelures de la Madeleine, ainsi que d’une autre œuvre de sa collection, un Christ de douleur, aujourd’hui au Metropolitan Museum de New York. Il n’est pas impossible que cet article ait également eu pour but d’adresser les doutes émis à demi-mots par Winkler dans son compte-rendu de l’exposition[3].
    Il parvient rapidement à polariser le milieu de l’histoire de l’art sur un sujet particulièrement critique à une époque où, en Belgique, les sensibilités communautaires sont exacerbées : l’existence d’une école tournaisienne dont Rogier van der Weyden est issu, une thèse à laquelle Renders s’attaque en 1928, en réfutant la distinction opérée par la critique entre les mains de Robert Campin – dont l’œuvre a été regroupée sous le nom d’emprunt Maître de Flémalle – et de son élève, Rogier van der Weyden (Renders & Lyna 1931).
    Renders est un homme de communication et n’hésite pas à utiliser tous les media à sa disposition pour défendre ses positions : il publie non seulement dans les périodiques prestigieux mentionnés plus haut, mais s’assure aussi le soutien de la presse belge, donne des conférences, échange une correspondance soutenue avec les historiens de l’art les plus influents, pour finalement éditer des pamphlets d’un caractère acerbe, attaquant personnellement des figures majeures du milieu politique.
    Il recourt systématiquement dans l’illustration de ses propos à des planches comparatives de détails afin de mettre en exergue les équivalences stylistiques qu’il croit déceler entre les panneaux donnés à Rogier et au Maître de Flémalle, une première pour l’époque, qui préfère des descriptions littérales pour ce type d’exercice.
    Il triomphe en septembre 1931, quand, suite à la publication du livre La solution du problème Vander Weyden – Flémalle – Campin qu’il a écrit en collaboration avec l’archiviste Joseph De Smet et Louis Beyaert-Carlier (Renders, de Smet & Beyaert-Carlier 1931), le plus grand spécialiste de la peinture primitive flamande Max J. Friedländer se range à son opinion[4], tout comme Paul Jamot, Frédéric Lyna ou encore Jacques Lavalleye : l’œuvre donnée au Maître de Flémalle est selon lui de la main de Rogier à ses débuts.

    Outre une analyse stylistique détaillée de l’œuvre des deux maîtres, Renders recourt dans ce livre à l’expertise de Joseph De Smet, qui relit systématiquement les archives encore disponibles à l’époque à Tournai – elles seront détruites en mai 1940 – afin de tenter de démontrer que le Rogelet de le Pasture inscrit en 1427 en tant qu’apprenti de Robert Campin ne pouvait être identique au Rogier peintre attitré de la ville de Bruxelles dix ans plus tard.
    L’année suivante voit la parution de deux textes de Paul Rolland qui soutient la thèse inverse : un article qui atteste qu’une Annonciation d’un style nettement flémallien a été polychromée par Robert Campin[5], et le livre Les Primitifs tournaisiens. Peintres et Sculpteurs[6] qui démontre les relations structurelles entre les stèles funéraires tournaisiennes et l’œuvre de Rogier. Il faudra plusieurs décennies avant que la balance penche définitivement en faveur de Tournai.
    En 1933, Renders entame un autre combat : démontrer que l’existence du frère de Jan van Eyck, Hubert, dont aucune œuvre certaine n’est attestée, a un caractère légendaire. Il publie avec le concours du fidèle Joseph De Smet et du peintre René De Pauw Hubert van Eyck, personnage de légende (Renders 1933), un ouvrage particulièrement soigné du point de vue de l’archivistique et de l’illustration.
    Les tentatives de distinguer dans les différents panneaux du Polyptyque de l’Agneau Mystique l’apport de chacun des deux frères avaient été particulièrement nombreuses jusqu’alors, sans que le moindre consensus puisse s’établir. La position de Renders est radicale : Hubert Van Eyck n’a jamais pris part à la conception du chef-d’œuvre, et le quatrain est une falsification du XVIe siècle qu’il attribue au milieu humaniste gantois.
    Le débat est cette fois plus feutré, et la thèse, développée deux ans plus tard dans le livre Jean van Eyck, son œuvre, son style, son évolution et la légende d’un frère peintre (Renders 1935a) et qui sera avalisée par, à nouveau, Max. J. Friedländer dans les Nachträge de son monumental Die altniederländische Malerei en 1937[7], influencera le monde des historiens de l’art de façon significative. Paul Coremans confessera ainsi être dans l’incapacité de déceler l’intervention d’un second maître lors des investigations scientifiques menées à l’occasion de la restauration du Polyptyque de l’Agneau Mystique en 1950-1951[8].
    Quatre pamphlets particulièrement agressifs, et relatifs au volet Campin-Van der Weyden de ses recherches, sont publiés en 1935 et 1936. Au travers d’attaques personnelles, ils visent la sphère politique : le ministre d’état Maurice Houtart (Renders 1935b), le politicien Jules Destrée (Renders 1935c) et surtout Leo Van Puyvelde, le conservateur-en-chef des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Renders 1936a). Ils marquent la fin des publications d’Émile Renders pour la période, qui reprendra une dernière fois la plume en 1950 en développant de nouvelles hypothèses relatives à la genèse du Polyptique de l’Agneau Mystique, à l’époque en restauration dans l’atelier du Laboratoire central des musées de Belgique, un livre dont la réception fut cette fois très limitée (Renders 1950).
    Renders vend en mars 1941 sa collection de peintures à Hermann Goering. Il tente après la guerre de la récupérer – une partie a été saisie par l’État belge en 1945 – mais il est débouté : il prétend que la vente en 1941 a été conclue sous la contrainte, mais l’argument est rejeté, dans la mesure où il est établi qu’il a sollicité l’occupant deux ans plus tard pour céder la collection de sculpture médiévale encore en sa possession.
    Il décède en 1956, peut-être avec le sentiment qu’il emporte dans sa tombe un secret bien gardé.
    Il n’en est rien : un demi-siècle plus tard, les archives de Jef Van der Veken refont surface, établissant que la plus grande partie de la collection de peintures d’Émile Renders était constituée d’œuvres originales certes, mais de qualité le plus souvent médiocre et que le génial praticien anversois avait hyper-restaurées dans le style des différents maîtres que Renders souhaitait collectionner[9].
    L’article Cracks in Flemish Primitives que Renders a publié dans The Burlington Magazine en 1928 et qui a marqué le début de son activité d’historien d’art et de polémiste est en fait un chef-d’œuvre de supercherie.

     

    Jean-Luc Pypaert

     

    [1] M. Conway (éd.), Flemish and Belgian Art, catalogue d’exposition (Londres, Burlington House, 1927, n° 4, 6, 36, 38, 42, 43, 91, 109, 165, 179 & 219), Londres, 1927.

    [2] M. Delacre, Sur un prétendu tableau de Memlinc figurant à l’exposition de Londres, Gand Artistique, Art et Esthétique 5, 1927, p. 86.

    [3] F. Winkler, 1927, p. 224.

    [4] M. J. Friedländer, 1931, p. 353-355.

    [5] P. Rolland, Une sculpture encore existante polychromée par Robert Campin, in Revue belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art 2, 1932, p. 335-345.

    [6] P. Rolland, Les Primitifs tournaisiens. Peintres et Sculpteurs, Bruxelles-Paris, 1932.

    [7] M.J. Friedländer, Die altniederländische Malerei. Nachträge, Berlin, 1937, p. 73-78.

    [8] P. Corremans, L’Agneau Mystique au laboratoire. Examen et traitement, Anvers, 1953, p. 116-117.

    [9] J.-L. Pypaert, Early Netherlandish Painting XV?, in D. Vanwijnsberghe (dir.), Autour de la Madeleine Renders : Un aspect de l’histoire des collections, de la restauration et de la contrefaçon en Belgique dans la première moitié du XXe siècle, Scientia Artis 4, Bruxelles,  2008, p. 237-241.

    Bibliographie de l’auteur

    Renders 1927 = À propos d’un article sur un prétendu Memlinc ayant figuré à l’exposition de Londres (Gand artistique, n° 5, mai, 1927). Droit de réponse (avec une réponse de M. Delacre), Gand artistique, p. 128-131.
    Renders 1928a = Cracks in Flemish Primitives, The Burlington Magazine février 1928, p. 59-65.
    Renders 1928b = Un « Meister Wilhelm von Köln » découvert à Bruges, avec le concours de Dr. Max Friedländer. Un appel aux critiques d’art techniciens, pour la solution de l’énigme « Maitre de Flémalle », Bruges.
    Renders 1928c = A Master Wilhelm of Cologne, Apollo juillet 1928, p. 4-8.
    Renders 1929a = The Riddle of the Maître de Flémalle, The Burlington Magazine juin 1929, p. 285-304.
    Renders 1929b = L’Énigme du Maître de Flémalle, Revue d’Art juin 1929, p. 193-201.
    Renders 1930 = Rogier van der Weyden, Gazette des Beaux-Arts 4, p. 10-25.
    Renders, de Smet & Beyaert-Carlier 1931 = La solution du problème Vander Weyden – Flémalle – Campin, Bruges.
    Renders 1931 = La solution du problème van der Weyden, Revue de l’art ancien et moderne, p. 225-228.
    Renders & Lyna 1931 = Le Maître de Flémalle, Robert Campin et la prétendue école de Tournai, Gazette des Beaux-Arts 6, p. 289-297.
    Renders & Lyna 1933 = Deux découvertes relatives à Van der Weyden, Gazette des Beaux-Arts 9, p. 129-137.
    Renders 1933 = Hubert van Eyck, personnage de légende, Paris-Bruxelles.
    Renders 1935a = Jean van Eyck, son œuvre, son style, son évolution et la légende d’un frère peintre, Bruges.
    Renders 1935b = Rogier Van der Weyden et l’avis d’une éminente personnalité le Baron Maurice Houtart Ministre d’Etat, s.l.
    Renders 1935c = Une manœuvre régionaliste en marge de l’exposition ‘Cinq siècles d’Art’ : Lettre ouverte à Jules Destrée, Bruges.
    Renders 1936a = Une opération chirurgicale : Lettre ouverte à Léo Van Puyvelde, Docteur en philologie germanique, Professeur à l’Université de Liège et Conservateur en Chef des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, s.l.
    Renders 1936b = Bulletin médical : sous le poids de sa pédante suffisance le Professeur Léo Van Puyvelde se dégonfle tragiquement, s.l.
    Renders 1950 = Jean van Eyck et le Polyptique. Deux problèmes résolus, Bruxelles.
    Renders 1956 = Scènes populaires du vieux Bruges. Dessins d’Émile Renders, Bruges.

    Bibliographie sur l’auteur

    Anonyme 1934 = M. Émile Renders. L’homme qui a supprimé un Van Eyck, Pourquoi Pas ? 1029, 30 avril 1934, p. 895-898.

    de Smet 1956a = J. de Smet, Émile Renders, Biekorf 4, p. 123-124.

    de Smet 1956b = J. de Smet, Kroniek. In memoriam: É. Renders – H. van der Gucht – Mgr. L. Detrez, Handelingen van het Genootschap voor Geschiedenis te Brugge, p. 159.

    Dubois 2014 = A. Dubois, Joseph Van der Veken, Émile Renders: quatre tableaux en question, Annales d’Archéologie et d’Histoire de l’Art 36, p. 127-151.

    Gyselen 1955 = G. Gyselen, Émile Renders, een bibibliografische schets, West Vlaanderen 4, p. 34-39.

    Hulin de Loo & Michel 1927 = G. Hulin & É. Michel, Les peintures primitives des XIVe, XVe & XVIe siècles de la collection Renders à Bruges, Londres et Bruges.

    Lust 2008 = J. Lust, Grandeur et décadence d’Émile Renders. Chronique mouvementée d’une collection d’art belge, in D. Vanwijnsberghe (dir.), Autour de la Madeleine Renders : Un aspect de l’histoire des collections, de la restauration et de la contrefaçon en Belgique dans la première moitié du XXe siècle, Bruxelles, p. 77-146.

    Vanwijnsberghe 2008 = D. Vanwijnsberghe, À l’ombre d’une fille en pleurs. Les avatars de la Madeleine Renders, in D. Vanwijnsberghe (dir.), Autour de la Madeleine Renders : Un aspect de l’histoire des collections, de la restauration et de la contrefaçon en Belgique dans la première moitié du XXe siècle, Bruxelles, p. 19-37.

    Sources d’archives

    Groeninge Museum, Bruges
    Documents provenant des archives d’Émile Renders

    Documents iconographiques

    No documents found.

    [fusion_widget_area name= »avada-custom-sidebar-notice-signature » hide_on_mobile= »small-visibility,medium-visibility,large-visibility » /]