Rolland Paul
Tournai, 17 mars 1896 - Anvers, 1 octobre 1949
Par : Jean-Luc Pypaert
Éléments biographiques
1919 | Entrée en fonction aux Archives générales du Royaume |
1922 | Membre correspondant de l’Académie royale d’Archéologie de Belgique |
1926 | Thèse de doctorat intitulée "Les origines de la commune de Tournai". Prix Pirenne. Secrétaire de l’Académie royale d’Archéologie de Belgique |
1930 | Secrétariat du XXVIIIe congrès de la Fédération archéologique et historique de Belgique |
1931 | Préside à la fondation de la Revue belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art |
1932 | Publication de "Les Primitifs tournaisiens. Peintres et Sculpteurs" |
1936 | Publication de "Les églises paroissiales de Tournai" |
1937 | Publication de "La cathédrale de Tournai et les courants architecturaux" |
1940 | Fouilles de sauvetage suite au bombardement de Tournai |
1942 | Publication de "Peintures murales en l’église Saint-Brice à Tournai. Peintures murales en l’église Saint-Quentin à Tournai" |
Présentation analytique
Paul Rolland, un historien formé à l’Université catholique de Louvain par le chanoine Alfred Cauchie puis à l’Université d’État de Gand (RUG) par Henri Pirenne, entre en fonction aux Archives générales du Royaume en 1919. Il y suit les cours d’archivéconomie de l’archiviste paléographe Joseph Cuvelier, qui lui donnent la possibilité de perfectionner les techniques de déchiffrement des écritures qu’il avait mises en œuvre dans les archives communales de Tournai pendant ses études, avec l’aide du chevalier Eugène Soil de Moriamé et du chanoine Pierre-Joseph Warichez.
Il est affecté ensuite aux Archives de l’État à Anvers, un poste qu’il conserve jusqu’à son décès en 1949.
Sa thèse de doctorat sur Les origines de la commune de Tournai est couronnée par l’Académie royale de Belgique qui lui décerne le prix Pirenne en 1926[1]. Elle est publiée en 1931 et l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de l’Institut de France la récompense en 1933 avec le Prix Bordin[2].
Son parcours à l’Académie royale d’Archéologie de Belgique démontre la vitalité qu’il apporte à cette institution : élu à titre de correspondant en 1922, il est titularisé et obtient le poste de secrétaire adjoint en 1925, puis succède à Fernand Donnet en tant que secrétaire l’année suivante.
A ce titre, P. Rolland est l’élément moteur dans la fondation en 1931 de la Revue belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art : publiée sous les auspices de la Fondation Universitaire, elle se focalise dorénavant sur son objet – les articles publiés jusqu’alors sont principalement de nature historique – , devient rapidement multilingue, et s’ouvre à des auteurs qui ne sont pas nécessairement membres de l’Académie, notamment aux jeunes universitaires. Elle s’appuie sur les services d’un distributeur, la Librairie Nationale d’Art et d’Histoire, et recourt à des annonces publicitaires pour assurer son financement[3]. Outre sa contribution en tant que secrétaire de la revue, Rolland y publie une quinzaine d’articles, dont trois à titre posthume.
Il démontre également ses qualités d’organisateur en dehors de cette institution en assurant le secrétariat du XXVIIIe congrès de la Fédération archéologique et historique de Belgique qui se tint à Anvers en 1930 et dont il publie les actes dans les Annales de l’Académie royale d’Archéologie.
Un des apports majeurs de P. Rolland à l’histoire de l’art, à laquelle il commence à s’intéresser à partir de 1924, réside dans les textes qu’il a publié en réponse à la thèse qu’Emile Renders a défendue en 1931[4]. Celle-ci, qui nie toute incidence du milieu artistique tournaisien dans la formation de Roger de le Pasture – Rogier van der Weyden et qui considère l’œuvre regroupée autour du Maître de Flémalle – Robert Campin comme de la main de R. van der Weyden à ses débuts, a bénéficié à l’époque d’un grand retentissement et a pu compter sur le ralliement la même année du plus grand spécialiste de la peinture flamande à cette époque, Max J. Friedländer[5].
P. Rolland, dont une caractéristique méthodologique est d’éviter dans son analyse toute approche stylistique de l’œuvre d’art, publie l’année suivante Les primitifs tournaisiens, peintres et sculpteurs, qui met en évidence les relations entre ces deux métiers en matière de structuration de l’image, et dans le Revue belge d’Histoire de l’Art, Une sculpture encore existante polychromée par Robert Campin, un article qui fait définitivement pencher la balance en faveur de Tournai : il y a bien dans cette cité, avant l’entrée en apprentissage de R. van der Weyden chez R. Campin, une production artistique qui peut être mise en relation avec les œuvres groupées autour du Maître de Flémalle.
La chronologie de la cathédrale de Tournai retient toute son attention en 1934, et il publie le fruit de ses recherches dans la revue dont il assume le secrétariat : les dates qu’il propose sont aujourd’hui encore largement acceptées[6]. Il consacre trois ans plus tard dans la même revue un article aux origines géographiques de l’architecture de la cathédrale, qu’il considère comme une émanation de l’école anglo-normande, une opinion qui actuellement rencontre toujours l’approbation des spécialistes.
P. Rolland assure en 1936 la rédaction du volume que la collection Ars Belgica consacre aux églises paroissiales de Tournai. Cette publication de luxe reproduit toute une série de bas-reliefs funéraires dont on déplore aujourd’hui la perte. À ce seul titre, elle mérite déjà de figurer parmi les contributions essentielles de P. Rolland qui nous permettent de nous faire une idée de la qualité artistique des œuvres tournaisiennes qui ont été détruites en 1940. L’ouvrage renferme également plusieurs clichés de nature architecturale pris à cette occasion : nous lui sommes redevables d’avoir analysé en détail quelques-uns de ces vénérables monuments dont l’état actuel n’est plus qu’un reflet de leur splendeur évanouie.
Il contribue en 1939 par deux chapitres consacrés à l’architecture et la sculpture romane et gothique à l’ouvrage de synthèse L’Art en Belgique du Moyen Age à nos jours publié sous la direction de Paul Fierens.
Dans un contexte identitaire qui se radicalise de manière de plus en plus nette du côté flamand, la position de P. Rolland s’inscrit dans la ligne unitariste, considérant qu’il existe une architecture scaldienne, dont Tournai serait le lieu de naissance. Un de ses détracteurs les plus acerbes, Stan Leurs, ira jusqu’à le contredire à ce sujet dans la préface de la version néerlandaise de la publication de P. Rolland Les églises paroissiales de Tournai évoquée plus haut[7].
Dans des circonstances plus tragiques, suite aux destructions causées par le bombardement de Tournai en 1940, il dirige les opérations de sauvetage et assure des recherches de terrain pendant toute la deuxième guerre mondiale. C’est à cette occasion qu’il découvre dans les ruines de Saint-Quentin et de Saint-Brice des fresques murales, respectivement une Entrée du Christ à Jérusalem et une Annonciation, et, pour cette dernière, il est à même de démontrer qu’elle peut être donnée à R. Campin sur base de mentions d’archives.
Dès la fin des opérations militaires, il persuade les pouvoirs communaux de créer un musée d’histoire et d’archéologie afin d’y rassembler les objets qui avaient pu être sauvés ou découverts lors des fouilles de sauvetage. Il s’implique également dans le processus de reconstruction de la ville, en élaborant dans diverses publications sa vision des principes à mettre en jeu : il est pour lui essentiel de s’assurer l’apport des métiers d’art dans les différents chantiers, afin d’épargner à la cité une apparence uniforme et sans âme dans ses parties reconstruites.
Il collabore à la fin de la guerre à des collections destinées au grand public, dans des livres d’une illustration soignée et dont le sujet, l’art à Tournai, ne se limite plus aux périodes romane et gothique : La peinture romane à Tournai, la Sculpture tournaisienne, mais aussi Louis XIV et Tournai, Intérieurs tournaisiens, qui lui valent à nouveau le Prix Bordin en 1948[8].
Un aspect moins connu de l’activité de Paul Rolland est son attachement à transmettre ses connaissances et celles de ses collègues à la génération suivante : il enseigne l’histoire de l’art à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai et en 1948 à l’Institut national supérieur des Beaux-Arts et d’Architecture d’Anvers. Il est la même année en charge de la direction des cours universitaires de vacances, organisés par le ministère de l’Instruction Publique et la Belgian American Educational Foundation.
Il reprend la démarche purement archivistique qui le caractérise dans un ouvrage posthume mis en ligne par l’Institut royal du Patrimoine artistique (IRPA) en 2021 : Robert Campin. Roger de le Pasture (Rogier Van Der Weyden). Jacques Daret, auquel il met la dernière main lorsqu’il décède inopinément en 1949 à Anvers.
Dans ce dernier ouvrage, P. Rolland ignore délibérément la production que la critique a attribuée aux trois artistes pour se concentrer uniquement sur les documents disponibles et les œuvres authentifiées. Il approche de manière chronologique ces éléments et s’attache à les mettre en relation avec le contexte historique local, principalement les structures corporatives et le milieu socio-économique. Il en résulte un éclairage nouveau sur des problèmes d’abords fort complexes, qui mettent en évidence l’importance des strates sociales en action et une description prégnante de ce qui constituait le milieu artistique tournaisien au XVe siècle.
Il nous laisse un deuxième ouvrage posthume : une synthèse historique sur Tournai publiée en 1956, qui prouve qu’il n’a pas renoncé à sa formation initiale, mais toujours avec la volonté de partager son savoir à « tous les hommes de bonne volonté », comme il l’indique dans l’Avertissement de son Histoire de Tournai.
Profondément attaché à sa ville natale, Paul Rolland laisse une œuvre d’une grande érudition et d’une rigueur scientifique exceptionnelle, une œuvre fondamentale pour notre connaissance de la cité scaldienne, mais d’un style élégant et agréable. Il avait à cœur de partager avec son lecteur le plaisir que ses recherches historiques et artistiques lui avaient procuré.
Jean-Luc Pypaert
[1] Séance du 6 juin 1926, Bulletin de l’Académie royale d’Archéologie de Belgique, p. 31.
[2] Anonyme, Chronique, Revue belge de Philologie et d’Histoire 12, 1933, p. 889.
[3] V. Martiny, L’Académie royale d’Archéologie de Belgique trois fois jubilaire, Revue belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art 61, 1992, p. 65-66.
[4] É. Renders, J. De Smet & L. Beyaert-Carlier, La solution du problème Vander Weyden – Flémalle – Campin, Bruges, 1931.
[5] M. J. Friedländer, Flémalle-Meister-Dämmerung, Pantheon 8, 1931, p. 353-355.
[6] J. Westerman, De Onze-Lieve-Vrouwekathedraal van Doornik: onafhankelijkheidsmonument voor een bisdom , thèse de doctorat, Université de Leiden, 2016, p. 25-29, non publiée. Consulté le 1er octobre 2022.
[7] S. Leurs, Inleiding, in P. Rolland, De parochiekerken van Doornik, Anvers, 1936; Th. Coomans, L’art ‘scaldien’ : origine, développement et validité d’une école artistique, in L. Nys & D. Vanwijnsberghe (éds.), Campin in Context. Peinture et société dans la vallée de l’Escaut à l’époque de Robert Campin, 1375-1445, Actes de colloque, (Tournai, 30 mars-1er avril 2006. Séminaire d’histoire de l’art de l’Institut royal du patrimoine artistique, 7), Valenciennes-Bruxelles-Tournai, 2007, p. 21-22.
[8] Jugement des concours, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 92, 1948, p. 475.